Saviez-vous que, jusqu’à une période récente, le premier repas de la journée se distinguait peu des suivants ? C’est à l’époque contemporaine que les trois boissons chaudes les plus réputées du petit-déjeuner – café, thé, chocolat – s’imposèrent à la table des Français.
Le petit-déjeuner, une « invention » récente
L’expression « petit-déjeuner », que l’on orthographie avec ou sans tiret, n’est apparue qu’à la fin du XIXe siècle. Est-ce à dire que l’on ne mangeait pas le matin avant cette date ? Bien sûr que non ! De tous temps, les hommes ont « dé-jeûné », c’est-à-dire répondu à la nécessité physiologique de rompre le jeûne de la nuit pour s’hydrater et reprendre de l’énergie. Ce qui a évolué, c’est le contenu de ce repas matinal. « Jusqu’au début du XXe siècle, dans bon nombre de milieux sociaux, le petit déjeuner se compose encore soit d’une soupe, soit de pain trempé dans du vin », note ainsi Jean-Pierre Poulain dans Manger aujourd’hui*. Ce n’est que progressivement que le petit-déjeuner devint la collation que l’on connaît aujourd’hui, organisée autour d’une boisson chaude, de tartines ou de produits céréaliers.
Dans son ouvrage Le monde dans nos tasses**, le géographe Christian Grataloup explique en effet que les trois produits clés de notre petit-déjeuner contemporain n’arrivèrent en Europe qu’au début du XVIIIe siècle, à la faveur des grandes explorations et de l’histoire coloniale : le café est d’origine africaine, le thé vient de Chine et le cacao pousse naturellement en Amérique. Les boissons issues de ces produits furent consommées dès le début du XVIIIe siècle par les familles aisées de certaines villes de l’Europe du Nord-Ouest, y compris Paris.
Trésors tropicaux et produits laitiers : quand la magie opère
La grande nouveauté, c’est qu’elles furent alors associées à un autre produit tropical, le sucre, ainsi qu’au lait, élément fondamental de l’alimentation du Vieux Continent. Quand le sucre se démocratisa et que le lait put être conservé dans de bonnes conditions, ces boissons se popularisèrent et se diffusèrent… jusqu’à influencer en retour les pratiques des pays d’origine, où elles n’étaient pas traditionnellement consommées sucrées !
Concernant le thé, Christian Grataloup rappelle cependant que les Européens ne furent peut-être pas les premiers à oser le mariage avec du lait : « à partir de la Chine, le thé s’est diffusé dans les steppes d’Asie centrale, en particulier parmi les peuples mongols. Ces sociétés d’éleveurs, grands consommateurs de laitages, (…) ont depuis longtemps mis du thé dans leur lait. » Toutefois, la boisson était salée et non sucrée. En Europe, dès le XVIe siècle, quand le sucre passa du statut d’épice rare à celui de mets pour classes (très) aisées, certaines familles des élites se mirent à consommer le lait chaud sucré en guise de breuvage matinal : si cette boisson était loin d’être la norme dans l’ensemble de la société, elle ouvrit sans doute la voie à la consommation sucrée des nouvelles boissons tropicales, tout en faisait du lait un compagnon idéal du chocolat, du café et du thé.